Résumés

Lundi 11 mai - 10h > 11h

Isidora Stojanovic, Institut Jean-Nicod  

Le langage des valeurs morales

Nous nous intéresserons à la question de savoir comment les langues naturelles aident à représenter les valeurs morales. Il est désormais coutume de parler des prédicats évaluatifs, mais une question de fond reste ouverte: qu'est-ce qui distingue un prédicat évaluatif d'un prédicat descriptif quelconque? La question a davantage d'intérêt lorsqu'on on observe que dans le langage courant, il y a mille façons d'exprimer un jugement de valeur, sans qu'il y ait besoin d'employer un terme moral paradigmatique, comme "bon/bien" ou "mauvais/mal". Par exemple, en caractérisant un acte comme étant "audacieuse", selon le contexte, on peut exprimer un jugement positif ou bien négatif, tout comme on peut ne pas exprimer de jugement de valeur du tout. Quels facteurs sémantiques, pragmatiques ou autres permettent à un énoncé de la forme "C'est audacieux" d'être porteur d'un jugement de valeur? Et quel(s) mécanisme(s) linguistique(s) permet(tent) à un prédicat descriptif d'avoir un usage évaluatif? Ce sont des questions, entre autres, auxquelles nous tâcherons d'apporter quelques éléments de réponse.

Lundi 11 mai - 11h30 > 12h15

François Côté-Vaillancourt, UCL

Peut-on naturaliser les raisons morales?

La communication que je vous propose se liera au thème central des quatrièmes journées en exposant certaines limites de la naturalisation de l'éthique et en en discutant les conséquences au plan métaéthique. L'exposé se fera en quatre temps.

1) Tout d'abord, j'introduirai la problématique en exposant l'attrait sous-tendant une forme de naturalisation particulière de l'éthique, soit un projet se situant passé le rejet du réalisme métaéthique et le fait de découvrir des réalités morales (directes ou indirectes) dans le monde extérieur. En effet, une autre forme de naturalisme existe et consiste plutôt à chercher dans la nature des faits permettant de départager (avec autorité) quelles normes nous devrions davantage adopter, quand bien même celles-ci dépendraient effectivement des agents. Ainsi, en identifiant empiriquement des comportements et principes moraux naturels, une certaine naturalisation de l'éthique permettrait a) d'adapter et de crédibiliser cette discipline dans un contexte sociétal et académique fortement influencé par les sciences naturelles, mais aussi b) de parvenir à une résolution de plusieurs craintes métaéthiques liées aux problèmes de l'autorité et de l'objectivité des normes morales, en l'absence d'ancrage métaphysique.

2)  En me basant sur les champs de la biologie évolutionniste, de l'éthique expérimentale et de l'anthropologie, j'exposerai plusieurs pistes de naturalisation de l'éthique au sein desquelles on cherche à identifier des contenus et modules moraux universels — qui seraient tels en s'inscrivant dans la nature évolutive de l'humain (ou plus largement du vivant).

3) Par contre, toujours à l'aide de ces mêmes sources, je démontrerai que, paradoxalement, loin de permettre l'identification de contenus moraux véritablement naturels, ces études empiriques révèlent au contraire un éclatement fondamental de notre sens moral et confirment l'existence d'une dimension contextuelle, linguistique et sociale centrale et inéluctable au sein de celui-ci. Ce faisant, la portée du projet de naturalisation des raisons morales est vite réduite à des énoncés trop formels pour départager les normes concrètes—par exemple, l'observation d'« une tendance à édifier des normes morales liées à la distribution des ressources » ne permet pas de départager une norme universelle/naturelle des variations locales/culturelles).

4) Cela dit, je terminerai l'exposé en tentant de réconcilier notre appétit pour le naturalisme avec le fait que le phénomène moral semble y résister, en démontrant qu'il est tout à fait possible de satisfaire nos besoins d'objectivité et de crédibilité scientifique sans disposer d'universaux naturels pour l'homme (ou le vivant), puisqu'une forme d'objectivité contextuelle, linguistique et sociale est possible et suffisante pour la continuité d'une pratique éthique intersubjective et contraignante pour le sceptique. En somme, l'échec d'une naturalisation des raisons éthiques ne condamne pas pour autant cette pratique à n'être qu'un jeu de langage sans forme d'objectivité.

Lundi 11 mai - 11h30 > 12h15

Samuel Lépine, Irphil, Université Jean Moulin, Lyon 3

Le projectivisme moral et la naturalisation du sentimentalisme

En métaéthique, le projectivisme est une thèse généralement défendue par des philosophes d’inspiration sentimentaliste, tels que Hume, Blackburn, ou Gibbard. Selon cette thèse, en effet, l’esprit projette sur les choses ou les actions, principalement du fait de ses émotions, des valeurs qu’elles ne possèdent pas en elles-mêmes. S’indigner d’une action, c’est lui attribuer une valeur négative qui ne constitue pas une de ses propriétés intrinsèques. Quoique l’on ait souvent reproché au projectivisme d’être une métaphore peu éclairante (Williams, 1987 ; Stroud, 1993), les études récentes issues de la psychologie morale semblent néanmoins lui donner un avantage décisif, et s’inscrivent ainsi pour une bonne part dans une entreprise de « naturalisation du sentimentalisme » (Nichols, 2004) visant à démontrer que le sentimentalisme est une thèse empiriquement plus plausible que le rationalisme ou l’intuitionnisme moral. Ainsi, certains travaux ont montré qu’il existait un lien direct entre l’incapacité des psychopathes à éprouver et reconnaître de la tristesse et de la peur, et leur incapacité à manipuler correctement les concepts moraux (Blair, 1995 ; 2001 ; 2007). Inversement, d’autres psychologues ont montré qu’il suffisait d’induire des sujets sous hypnose à éprouver du dégoût dans certains contextes pour que ces derniers en viennent à formuler des jugements moraux négatifs (Wheatley et Haidt, 2004). De ce point de vue, les émotions jouent donc bien empiriquement un rôle décisif dans notre capacité à reconnaître certaines valeurs.

Pour autant, le projectivisme est généralement compris comme une thèse qui a non seulement une dimension empirique, mais également une dimension métaphysique : si les valeurs sont projetées à partir de nos émotions, alors elles n’existent pas réellement (Mackie, 1977). Mais comme l’a souligné Joyce (2009), il n’y a pas de lien conceptuel nécessaire entre la thèse empirique et la thèse métaphysique. Tout ce que dit la thèse empirique est que, du fait de nos émotions, nous avons une expérience des valeurs que nous ne pourrions pas avoir autrement. L’existence ou la non-existence des valeurs n’est pas nécessairement impliquée par cette thèse. Et l’effort engagé pour naturaliser le sentimentalisme ne saurait être complet sans répondre à cette difficulté.

Au cours de ma communication, je souhaiterai développer deux thèses concernant la dimension métaphysique du projectivisme afin d’affronter cette difficulté. Selon la première thèse, il est non controversé de penser que les valeurs non morales existent réellement. Leur existence est simplement tributaire de nos états motivationnels d’arrière-plan (nos désirs, intérêts, préférences, etc.). Par exemple, le fait que j’attache de l’importance à un concours constitue une raison de m’attrister si j’échoue, raison que je n’aurai pas si je me moquais de ce concours. De ce point de vue, les valeurs non morales sont relatives aux états motivationnels des individus, et sont supposées survenir simultanément sur nos motivations et sur des états de choses susceptibles de satisfaire ou de contrarier ces dernières.

La deuxième thèse part du constat qu’il existe un contraste entre les propriétés morales et les propriétés non morales, dans la mesure où les propriétés morales sont censées exister indépendamment de nos motivations (Joyce, 2002). De ce point de vue, je soutiendrai que le projectiviste doit ici ou bien endosser une forme d’antiréalisme moral, ou bien opter pour une forme de réalisme moral révisionniste (défendu notamment par Prinz, 2007). J’évaluerai chacune de ces deux alternatives, et je soutiendrai que la première est plus plausible que la seconde, pour des raisons conceptuelles mais aussi empiriques.

Lundi 11 mai - 14h > 15h15

Bruno Gnassounou, CAPHI, Université de Nantes

Du bien dans sa relation à l'intentionnalité pratique

Donnons-nous un agent et supposons qu'il juge qu'une action a une propriété P quelconque : par exemple, supposons qu'il estime que l'action de payer une certaine somme d'argent soit juste. Je suppose que tout le monde accepte que le jugement « Payer telle somme d'argent à Paul est juste » est l'expression d'une évaluation morale.

Une question qui peut se poser est de savoir ce qui confère à cette considération (« telle action est juste ») le statut de raison d'agir, c'est-à-dire une raison d'accomplir l'action qui a la propriété P (payer une certaine somme d'argent). A quelles conditions la considération selon laquelle donner une certaine somme d'argent à Paul est juste me donne une raison de lui donner cette somme ?

On peut soutenir que les jugements évaluatifs moraux ne donnent en eux-mêmes aucune raison à l'agent d'accomplir les actions évaluées comme bonnes. Bref, il n'est pas irrationnel d'être immoral, en particulier si ces actions morales ne servent aucun désir préalable de l'agent. C'est la position dite « internaliste », que l'on fait souvent remonter à Hume (Foot 1, Bernard Williams, Brunero, etc.) et qui s'appuie sur une analyse de l'action intentionnelle qui la fait reposer essentiellement sur les désirs de l'agent.

On peut soutenir au contraire que ces considérations constituent en elles-mêmes des raisons d'agir, que ces dernières soient ou non accessibles à l'agent, par une délibératon rationnelle qui prend son point de départ dans les désirs de cet agent, position qu'une certaine tradition fait remonter à Aristote. C'est la thèse dite « externaliste ». La meilleure formulation de cette thèse affirme qu'en dépit du fait que nos raisons ne dépendent pas de nos désirs, et même à cause de ce fait, l'immoraliste n'est pas pour autant irrationnel (John McDowell). La sensibilité aux raisons d'agir n'est pas une question de délibération rationnelle, en particulier n'a rien à voir avec la question de la structure intentionnelle de l'action.

Je montrerai que cette variante de l'externalisme (le bien ne dépend pas des désirs, il fournit des raisons d'agir, mais il n'est pourtant pas irrationnel de ne pas le poursuivre) est dans le vrai, mais que l'on peut mettre en doute la justification qu'elle en donne. La structure intentionnelle de l'action, qu'elle écarte comme non pertinente, fournit, en dépit des apparences, une bien meilleure justification de cette position.

La conclusion est qu'il faut donner toute sa place à la notion d'erreur pratique, que commet en effet l'immoraliste, qui est bien différente de celle d'irrationalité pratique, dont il est indemne.

Lundi 11 mai - 15h30 > 16h15

Vincent Boyer - Doctorant et ATER, CAPHI, Université de Nantes

Théorie des vertus et objectivisme moral

Dans un entretien accordé en 2003 à la Harvard Review of Philosophy la philosophe britannique Philippa Foot affirme qu’une bonne façon de mettre au jour la base factuelle sur laquelle reposent nos jugements moraux particuliers est de tourner notre regard en direction des vertus et des vices individuels. En effet, autant nous pouvons penser ou affirmer qu’ il est moralement mal de faire ceci ou cela si nous désapprouvons moralement cette action dans notre for intérieur, par exemple si celle-ci provoque en nous un dégout d’un certain type – que ce soit tromper quelqu’un, couper la salade dans son assiette, ou même tourner autour d’un arbre dans le sens contraire des aiguilles d’une montre –, autant on ne peut pas décider de faire de n’importe quelle action une action « infidèle » ou « malveillante », au risque de faire perdre à ces mots tout leur sens.

L’adoption du vocabulaire des vertus et des vices, en imposant sur nos jugements moraux ce que nous proposons d’appeler une  « contrainte de factualité », serait dès lors la meilleure alliée de cette position métaéthique que l’on peut qualifier d’objectivisme moral. « Objectivisme moral » non pas au sens où le mot « bon » (good) ferait référence à une propriété objective non naturelle, comme le pensait G.E. Moore, mais au sens où les jugements moraux peuvent être dérivés à partir de faits objectifs propres à toute vie humaine. C’est cet usage métaéthique du vocabulaire des vertus et des vices que nous voudrions explorer en détails et discuter dans cette communication. Nous poserons entre autres la question de savoir si  changer de vocabulaire et abandonner des expressions comme « bien moral » ou « devoir moral », au profit de termes comme « juste », « courageux », ou « bienveillant », est suffisant pour défendre une position objectiviste en métaéthique.

Lundi 11 mai - 15h30 > 16h15

Pierre-Yves Rochefort, Université de Montréal

Putnam et la pertinence de la naturalisation de l’éthique

En m’inspirant du travail d’Hilary Putnam, j’aimerais montrer comment la reconnaissance des limites de la connaissance scientifique issue de la philosophie des sciences du siècle dernier milite contre la pertinence de chercher à réduire l’éthique au discours des sciences de la nature.

Naturaliser un discours revient à réduire ce dernier au discours scientifique (celui des sciences de la nature, lequel devrait ultimement pouvoir être entièrement réduit à la physique). La raison qui nous pousse à entreprendre un tel projet est que nous considérons que la science possède un statut privilégié parmi les différents discours assertoriques. À la différence de ces autres discours, la science, prétend-on, possède une méthode assez fiable pour nous permettre distinguer, parmi les diverses interprétations de la réalité qui s’offrent à nous, laquelle reflète véritablement la structure fondamentale du réel. Selon un tel point de vue, toute forme de « connaissance » qui n’est pas en mesure d’être réduite au discours scientifique se trouve par conséquent rabaissée au rang de pseudosavoir. Dans une telle perspective, naturaliser l’éthique devient le seul moyen de lui redonner ses lettres de noblesse. Mais qu’advient-il si la science n’est pas en mesure de remplir sa promesse?

Bien que ces derniers soient souvent négligés par les philosophes qui oeuvrent dans d’autres domaines, plusieurs résultats issus de l’épistémologie des sciences du 20e siècle (l’impossible formalisation de l’induction, le caractère holistique de notre savoir, sa sous-détermination par l’évidence empirique, le fait que l’expérience est toujours imprégnée de théorie, le phénomène des révolutions scientifiques, celui de la relativité conceptuelle ou de la relativité de l’ontologie) semblent non seulement relativiser sérieusement la prétendue exactitude des sciences de la nature, mais aussi mettre en question l’existence d’une méthode scientifique unifiée. Contrairement au préjugé habituel du néophyte, la science est loin de constituer un discours unifié qui disposerait d’une méthode formelle quasi infaillible. Lorsque l’on compare les méthodes employées par les sciences de la nature à celles qui sont employées dans le cadre d’autres formes de discours assertoriques comme l’éthique, on se rend compte que la différence a été grandement exagérée.

Suivant Putnam, si l’on souhaite reconnaitre l’objectivité du discours scientifique, un tel constat devrait nous amener à reconnaitre que l’éthique ne possède pas moins de légitimité que le discours scientifique, ce qui devrait aussi nous amener à relativiser la valeur que nous accordons au projet de naturalisation de l’éthique.

Lundi 11 mai - 16h30 > 17h45

Christine Tappolet, Université de Montréal

Vertus, émotions et raison

La liste de ce qui compte comme une vertu est controversée. Toutefois, on s’entend en général pour dire que la générosité, le courage et la bienveillance sont des vertus. Il s’agit là de vertus morales, dont l’exercice est susceptible de promouvoir l’intérêt d’autrui. D’autres vertus, comme la prudence, semblent par contre concerner le bien de celui qui la possède. De plus, certaines vertus semblent liées non pas à l’action, mais à la connaissance. C’est le cas de l’honnêteté intellectuelle et de l’ouverture d’esprit, par exemple. La  question qui se pose est de savoir ce qui est commun à tous ces objets. Contrairement à ce qui en général proposé par les néo-aristotéliciens, comme Rosalind Hursthouse (1999), qui considèrent que la vertu exige l’exercice de la raison, j’aimerais avancer une conception sentimentaliste, qui met non pas la raison, mais les émotions au cœur des vertus. Les vertus seraient, fondamentalement, des dispositions à ressentir des émotions appropriées, ajustées à la réalité. Ainsi, on pourra définir les vertus comme des dispositions complexes, organisées autour des dispositions à ressentir des émotions appropriées. La vertu du courage, par exemple, consistera en la disposition à ressentir de la peur de manière ajustée à la réalité, mais aussi à agir et à juger de manière adéquate, étant donné ce que ressent l’agent.

Mardi 12 mai - 08h30 > 09h45

Julien Deonna et Fabrice Teroni, Université de Genève

« Les attitudes appropriées verbatim »

L’un des problèmes traditionnels auxquels fait face l’analyse des concepts de valeurs en termes d’attitudes appropriées provient de sa prétendue circularité. Il est tentant de comprendre le danger et le concept de danger en termes des conditions qui rendent la peur appropriée. Mais, n’en déplaise à Wiggins, cela ne saurait nous mener bien loin si les explanans émotionnels devaient être à leur tour compris en termes des valeurs en question. Ce problème se pose de manière particulièrement claire si l’on souscrit à la thèse selon laquelle les émotions ne sont rien d’autre que des jugements évaluatifs. Bien sûr, de nombreuses raisons ont été avancées pour rejeter cette dernière thèse et défendre l’idée selon laquelle les émotions ne dépendent pas de la maitrise des concepts évaluatifs pertinents. En première ligne parmi les approches souscrivant à cette idée, on rencontre la conception des émotions comme états perceptifs représentant les valeurs de manière non conceptuelle. On pourrait dès lors être tenté de conclure que le problème est réglé pour autant que les partisans des analyses des valeurs en termes d’attitudes appropriées soient prêts à adopter une telle conception des émotions. Nous allons donner des raisons de penser qu’un tel optimisme n'est pas approprié. Les amis de l’analyse des concepts de valeurs en termes d’attitudes appropriées ne devraient pas emprunter cette voie, dans la mesure où une approche perceptive des émotions ne peut pas rendre compte de leurs rôles épistémique et phénoménologique. Sur la base de ce constat, nous présenterons une théorie qui possède les mêmes avantages fondamentaux qu’une approche perceptive sans pour autant souffrir de ces défauts. Selon cette théorie, la relation qu’entretiennent émotions et valeurs n’est pas d’ordre représentationnel, mais remonte à la nature attitudinale des émotions. Nous explorerons ensuite quelques conséquences de cette approche sur l’analyse des concepts évaluatifs en termes d’attitudes appropriées.

Mardi 12 mai - 10h > 10h45

Ophélie Desmons, Université Lille 3

Réalisme, anti-réalisme ou constructivisme ? Faut-il renoncer à l'ontologie morale au profit de l'épistémologie morale ?

Le constructivisme moral, tel qu'il a été thématisé et développé par John Rawls1, peut être interprété de deux façon différentes. On peut, d'une part, considérer que le constructivisme est d'abord et avant tout une position méthodologique. Le constructivisme serait une méthode qui permettrait notamment de produire des principes de justice, sur la base d'une conception normative de la personne et de la société. Partant, on peut en conclure que le constructivisme n'est pas une véritable position méta-éthique. Sharon Street, parle, à ce titre de « constructivisme restreint » qu'elle oppose à un « constructivisme méta-éthique »2. Ce qui ferait du constructivisme de Rawls notamment un constructivisme restreint, c'est son agnosticisme ontologique, c'est-à-dire le fait qu'il n'implique aucune ontologie morale particulière. Il ne soutient ni une position réaliste, ni une position anti-réalisme et ne répond rien à la question de savoir quel est le statut ontologique des valeurs morales. On peut également, comme Street, considérer que ce « constructivisme restreint » est frappé par une forme d'incomplétude3 qui devra être corrigée si l'on entend faire du constructivisme une véritable position méta-éthique. Le constructiviste devra assumer une position ontologique, sans doute antiréaliste. Le « constructivisme restreint » peut néanmoins, à mon avis, être interprété différemment. Je chercherai à soutenir que ce « constructivisme restreint », même s'il ne propose aucune sorte d'ontologie morale, constitue déjà une position méta-éthique complète. Il me faudra assumer l'apparent paradoxe que constitue cette thèse. On considère en effet la plupart du temps que la méta-éthique, en tant que questionnement de second ordre, s'occupe, par définition de rendre compte de la morale et que, pour ce faire, il est indispensable de se prononcer sur la nature des valeurs morales. Dans cette perspective, une position méta-éthique complète inclurait nécessairement une ontologie morale. Je souhaite montrer que l'un des gestes important du « constructivisme restreint », c'est de mettre à mal cette habitude de pensée. On peut, à mon avis, soutenir que ce constructivisme est une position méta-éthique complète et que le fait qu'il renonce à répondre aux questions qui s'inscrivent dans le champ de l'ontologie morale est justement l'une de ses thèses méta-éthiques centrales. L'agnosticisme ontologique n'est pas un défaut ou un oubli mais une thèse sur la nature de la morale. Renoncer à statuer sur la nature ontologique des valeurs, c'est suggérer la nécessité d'un déplacement, de l'ontologie morale vers l'épistémologie morale. C'est affirmer que, eu égard à la nature de la morale, la question qui se pose n'est pas la question de savoir si les valeurs morales existent indépendamment de nous ou pas. La question qui se pose, c'est la question de savoir à quelle condition une doctrine morale est justifiée, le critère de la validité n'étant plus la correspondance mais l'accord.

 

1 John Rawls, « le constructivisme kantien dans la théorie morale », in Justice et démocratie, tr. fr. C. Audard, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 71-152 ; John Rawls, Libéralisme politique, tr. fr. C. Audard, Paris, PUF, 1995.

2 Sharon Street, “What is Constructivism in Ethics and Metaethics?”, Philosophy Compass, 5, 2010, p. 363–384.

Street utilise l'expression “restricted constructivism” - que je traduis par « constructivisme restreint » - qu'elle oppose à l'expression “thoroughgoing or metaethical constructivism”.

3 C'est ce que suggère l'expression “thoroughgoing constructivism”, qu'on pourrait traduire, de façon un peu littérale, par « constructivisme approfondi », mais aussi par « constructivisme complet ».

 

Mardi 12 mai - 10h > 10h45

Félix-Aubé Beaudoin, Université Laval

La réponse naturelle : une solution inadéquate au dilemme darwinien

Sharon Street estime que la tâche centrale de la métaéthique consiste à « réconcilier notre compréhension de la normativité et du discours normatif avec une compréhension naturaliste du monde» (Street, 2010). On peut sans doute disputer la question de savoir s’il s’agit vraiment de la tâche la plus importante à laquelle font face les métaéthiciens. Cela dit, la plupart d’entre eux s’accordent  pour dire qu’une bonne théorie métaéthique devrait à tout le moins être compatible avec nos connaissances scientifiques. Certains sont d’avis que le réalisme moral – une famille de théories métaéthiques importante – fait face à des difficultés considérables à cet égard. Plus précisément, l’existence de vérités morales indépendantes, postulée par les réalistes moraux, serait incompatible avec la reconnaissance du rôle majeur qu’a joué l’évolution dans le façonnement de la moralité humaine (Ruse et Wilson, 1986; Joyce 2006; Street, 2006).

Le « dilemme darwinien » (Street 2006) est sans doute la formulation de ce type de critique qui a le plus retenu l’attention des philosophes ces dernières années, de nombreux auteurs réalistes s’étant efforcés d’y répondre depuis sa parution. Street somme les réalistes moraux d’expliquer pourquoi de nombreux jugements qui sont des candidats au statut de vérités morales indépendantes sont aussi ceux qui ont une grande valeur sélective. Deux options s’offrent aux réalistes : soit nier, soit affirmer l’existence d’une relation entre les pressions évolutionnistes ayant influencé nos jugements et les vérités morales indépendantes. Selon elle, la première option mène au scepticisme moral, tandis que la seconde est indéfendable sur le plan scientifique.

Peter Singer et Katarzyna de Lazari-Radek (2012; 2014) cherchent à défendre le réalisme moral en optant pour la première branche de ce dilemme. La stratégie argumentative qu’ils adoptent a toutes les caractéristiques de ce que Shafer-Landau nomme la réponse naturelle (Shafer-Landau, 2012). Elle consiste à identifier des jugements moraux épistémiquement fiables et exempts d’influence évolutionniste à partir desquels nous puissions corriger les jugements soi-disant « contaminés » par l’évolution. La raison, croient les auteurs, nous permet de découvrir de tels jugements. Si la stratégie obtient le succès escompté, les réalistes pourront maintenir qu’il nous est possible de connaître les faits moraux, et ce même si l’évolution ne permet pas de les « pister » (track).

Je  soumettrai la réponse naturelle à un examen critique. Deux objections principales seront formulées. La première objection est d’ordre épistémologique: l’intuitionisme philosophique défendu par les auteurs fait face à des difficultés majeures. La seconde objection, plus fondamentale, est que leur solution ne permet pas d’expliquer autrement que par un heureux hasard la correspondance entre les vérités morales indépendantes et les jugements ayant une valeur sélective. D’autres explications possibles – réalistes ou antiréalistes - permettent d’éviter ce recours au hasard et paraissent, pour cette raison, préférables. Autrement dit, la réponse naturelle devrait être abandonnée: il ne s’agit pas d’une réponse satisfaisante au dilemme darwinien.

Références:

de Lazari-Radek, K. et Singer, P. (2012). "The objectivity of ethics and the unity of practical reason." Ethics 123(1): 9-31.

de Lazari-Radek, K. et Singer, P. (2014). The point of view of the universe: Sidgwick and contemporary ethics. Oxford,Oxford University Press.

Joyce, R. (2006). The evolution of morality. Cambridge, MIT Press.

Ruse, M. et Wilson, E. O. (1986). "Moral philosophy as applied science." Philosophy 61(236): 173-192.

Shafer-Landau, R. (2012). "Evolutionary debunking, moral realism and moral knowledge." Journal of Ethics & Social Philosophy 7(1): 1-37.

Street, S. (2006). "A Darwinian dilemma for realist theories of value." Philosophical Studies 127(1): 109-166.

Street, S. (2010). "What is constructivism in ethics and metaethics?" Philosophy Compass 5(5): 363-384.

Mardi 12 mai - 11h > 12h15

Nicolas Delon, New York University

« Valeur finale, fongibilité et statut moral »

Je présente un avantage d'une analyse de la valeur finale comme survenant sur des objets concrets (personnes, animaux, artefacts) plutôt que sur des états de chose. L'analyse elle-même n'est pas neuve mais je développe ici les implications d'une analyse en termes de survenance sur les propriétés intrinsèques d'états de choses. Une telle analyse empêche de rendre compte de façon robuste du statut moral des individus (compris ici comme objets concrets). Tandis qu'elle convient bien à certaines formes l'utilitarisme, en offrant une justification axiologique à la fongibilité des personnes en vue de la maximisation du bien, d'autres formes d'utilitarisme pourraient préférer la rejeter dans la mesure où elle implique de ne voir dans le statut moral qu'une caractéristique morale dérivée et fongible. L'avantage de l'analyse défendue ici est au contraire de convenir à une plus large gamme de théories morales et de refléter un aspect essentiel du statut moral.

Mardi 12 mai - 14h > 15h15

Ruwen Ogien, CNRS

Intuitions morales universalistes et relativistes

De nombreux chercheurs distinguent les normes éthiques ou morales et les conventions sociales. Ils considèrent que ce qui distingue les premières des secondes, c’est leur prétention à l’universalité. Ils estiment que cette prétention est contenue dans le concept d’éthique, ou, dans le langage de R.M. Hare, qu’elle appartient à la logique des  termes « éthique » ou « moral ».

Mais certains travaux en philosophie morale expérimentale tendent à montrer que cette conviction ne respecte pas les intuitions morales communes, c’est-à-dire les réactions d’approbation ou de désapprobation spontanées de la plupart des gens dans des situations impliquant d’autres êtres humains. Ces intuitions sont complexes. Elles ne distinguent pas clairement les normes éthiques ou morales et les conventions sociales. Elles oscillent entre relativisme, particularisme et universalisme moral.

Cette divergence entre les assertions des philosophes et les intuitions communes pose une question générale sur les bases épistémologiques de l’analyse conceptuelle des idées morales. Dans quelle mesure peut-elle s’éloigner de nos intuitions sans perdre toute signification? Elle conduit aussi à une question plus spécifique concernant ce qui justifie l’idée que la prétention à l’universalité est contenue dans le concept même d’éthique.

Mardi 12 mai - 15h30 > 16h15

David Rocheleau-Houle, Université York

Réalisme moral, propriétés morales et causalité

Selon Shafer-Landau, il est difficile de défendre que les propriétés morales jouent un rôle causal indépendant, par exemple dans la formation de nos croyances morales, car il est toujours possible de défendre qu’une croyance morale soit causée par une propriété physique. Il serait alors possible d’expliquer l’effet (la croyance) sans faire référence à aucune propriété morale. Cette possibilité semble soutenir la thèse que les propriétés morales ne possèdent pas de pouvoirs causaux indépendants. Pour Shafer-Landau, cela ne représente pas un argument contre le réalisme moral, simplement parce que nous avons d’autres raisons de croire en l’existence des propriétés morales et des faits moraux. Dans cette communication, mon objectif n’est pas de discuter de ces autres raisons que nous pouvons avoir de croire en l’existence de ces propriétés, mais de discuter de la possibilité que ces propriétés ou faits aient des pouvoirs causaux. De plus, la possibilité que les propriétés morales soient causalement efficaces est un élément fondamental du réalisme naturaliste et, dans un certain sens, d’une naturalisation de l’éthique.

Dans le but de défendre la thèse selon laquelle il est possible de défendre que les propriétés morales ont des pouvoirs causaux, je vais, en m’appuyant sur les travaux de Stephen Yablo (1992) et Graham Oddie (2005), présenter une solution construite sur le principe selon lequel une cause doit être proportionnelle à son effet : x (une cause) peut être considérée proportionnelle à y (un effet) si et seulement si y est contingent à x, et si et seulement si x est adéquat pour y. Ma thèse est qu’il est possible d’appliquer ce principe aux propriétés et croyances morales. En d’autres mots, la propriété morale « être mal » pourra être la cause de ma croyance que p est mal si ma croyance est contingente à cette propriété, et si « être mal » est un candidat adéquat et suffisant pour être la cause de ma croyance. Plusieurs candidats peuvent s’avérer adéquats pour la causalité d’un effet. Par exemple, autant la propriété physique x qu’une propriété morale peuvent être considérées comme étant la cause adéquate de ma croyance morale. Toutefois, et c’est ici un élément crucial, la propriété morale « être mal » est un meilleur candidat causal pour ma croyance que p est mal, principalement parce que ma croyance morale est contingente à cette propriété morale.

Ceci peut être démontré par la probabilité que je ne forme pas la croyance que p est mal si p n’est pas mal, ou que j’abandonne ma croyance si je découvre que, ultimement, p n’était pas mal. De plus, considérant que les propriétés morales peuvent survenir sur différentes propriétés physiques, la propriété morale « être mal » pourrait être réalisée par la propriété physique y plutôt que x et je pourrais toujours avoir la croyance que p est mal. Dans cette situation, il est possible de voir que le meilleur candidat causal pour ma croyance morale est la propriété morale plutôt qu’une propriété physique. C’est de cette manière que le principe de proportionnalité, bien qu’il doive être défendu contre certaines objections, est une option intéressante pour défendre l’efficacité causale des propriétés morales.

Références

Oddie, Graham (2005), Value, Reality, and Desire, Oxford University Press.

Shafer-Landau, Russ (2003), Moral Realism, Oxford University Press.

_________________ (2007), “Ethics as Philosophy: A Defense of Ethical Nonnaturalism,” dans Metaethics after Moore, Oxford University Press.

Yablo, Stephen (1992), “Mental Causation,” The Philosophical Review, vol. 101, no. 2, pp. 245-280.

Mardi 12 mai - 15h30 > 16h15

Charles Côté-Bouchard, King's College London

Les normes épistémiques prouvent-elles le réalisme moral? De la supposée catégoricité des normes épistémiques.

Pour plusieurs, les normes morales sont catégoriques ou nécessairement normatives : si elles  exigent X, alors il y a une raison externe de faire X, c’est-à-dire une raison qui ne provient pas de nos désirs ou de nos buts. Or, certains voient en cette caractéristique un obstacle majeur à la naturalisation de la morale. Selon eux, l’existence de normes catégoriques est incompatible avec une ontologie naturaliste, car rien dans la nature n’est à la fois normatif et indépendant de nos buts. Pour cette raison, certains naturalistes rejettent l’existence des normes morales. Leur argument peut être résumé de la manière suivante :

L’argument de la catégoricité

M1. Si elles existaient, les normes morales seraient catégoriques.

M2. Les normes catégoriques n’existent pas.

M3. Donc, les normes morales n’existent pas.

Récemment, certains tels Terence Cuneo et Richard Rowland ont tenté de rejeter M2 en invoquant la catégoricité des normes épistémiques, soit celles qui gouvernent la croyance du point de vue de la représentation fidèle de la réalité. Ces normes exigent, par exemple, de ne pas prendre ses désirs pour des réalités, de ne pas croire ce dont on n’a aucune preuve, de ne pas croire le faux, etc. Selon ces philosophes, les normes épistémiques sont tout autant catégoriques que les normes morales : si les normes épistémiques exigent de ne pas croire que P, alors il y a une raison externe de ne pas croire que P. Or, puisque selon eux le rejet des normes épistémiques n’est pas plausible, il s’ensuit qu’il n’y a rien de problématique avec les normes catégoriques.

Pour être plus précis, ils défendent :

L’argument épistémique

E1. Si elles existaient, les normes épistémiques seraient catégoriques.

E2. Les normes épistémiques existent.

E3. Donc, les normes catégoriques existent (M2 est fausse).

Par conséquent, soit les normes catégoriques sont compatibles avec le naturalisme, soit elles ne le sont pas, dans quel cas il faudrait rejeter le naturalisme.

Le but de ce papier est de répondre à l’argument épistémique en rejetant E1 : il n’y a pas nécessairement de raison externe de se conformer aux normes épistémiques.  La manière la plus répandue de rejeter E1 est de rejeter l’externalisme des raisons au  profit d’une conception internaliste selon laquelle les raisons normatives proviennent  de nos buts. Une telle conception écarte de facto la possibilité de normes catégoriques puisqu’elle écarte la possibilité de raisons externes.

Cette stratégie internaliste compte plusieurs adhérents, mais ce n’est pas celle que je défends. Ma stratégie consiste plutôt à rejeter E1 en présupposant l’externalisme des raisons. Je montre d’abord que le fardeau de la preuve revient non pas aux adversaires  de E1, mais bien à ses partisans. Ensuite, je rejette les principales façons d’établir E1, soit que violer les normes épistémiques est nécessairement (1) imprudent, (2) immoral, (3) épistémiquement mauvais, (4) intrinsèquement mauvais, (5) faire preuve de défectuosité et (6) la violation d’un type de normativité distinct et sui generis. J’en conclus que nous n’avons pas de bonnes raisons d’accepter E1. Les normes épistémiques ne peuvent donc pas servir à réfuter l’argument de la catégoricité.

Mardi 12 mai - 16h30 > 17h15

Uriah Kriegel, Institut jean-Nicod, CNRS

« Un non-naturalisme non-Mooréen »

Selon le non-naturalisme en éthique, il y a des propriétés normatives qui sont irréductibles aux propriétés dites "naturelles". Le principal défenseur du non-naturalisme en éthique, G.E. Moore, a soutenu que la bonté est une propriété normative de ce genre. Mais il existe une alternative non-naturaliste peu appréciée et développée par Brentano quinze ans auparavant et qui désigne être approprié, juste, ou convenable ("fitting") comme la propriété normative irréductible de base. Ce type de non-naturalisme est mieux placé que la variété Mooréenne pour expliquer la force motivationelle des jugements moraux. En revanche, il doit expliquer la notion du convenable/juste/approprié. Dans cette communication, je présente et défends l’explication Brentanienne de cette notion et la théorie des valeurs qui en résulte.

Mercredi 13 mai - 09h > 10h15

Olivier Massin, Université de Genève

Valeur et valence

Deux hypothèses orthodoxes au sont des émotions sont premièrement, que les émotions sont essentiellement des épisodes naturels –c’est-à-dire, non-axiologiques– de sorte que les valeurs peuvent être analysées de façon non-circulaire en termes d'émotions; et deuxièmement, que les émotions ont essentiellement une valence hédonique : qu’elles sont par nature plaisantes ou déplaisantes. Je soutiendrai que ces deux hypothèses sont incompatibles et que la première doit être abandonnée. La valence hédonique est en réalité une espèce de valeur. Je présenterai deux arguments allant en ce sens. Le premier a trait à la phénoménologie des émotions, le second à la nature de l’opposition polaire entre émotions positives et négatives.

Mercredi 13 mai - 10h45 > 12h

Patrick Turmel, Université Laval

Quelle objectivité morale pour le constructivisme formel? 

Le constructivisme métaéthique est une drôle de créature. Il rejette l’indépendantisme  normatif par rapport à l’esprit – il s’agit en ce sens d’une théorie anti-réaliste – mais cela n’implique pas pour autant un rejet de l’objectivisme. Cette théorie a en effet la prétention de préserver l’objectivité normative tout en évitant les écueils ontologiques du réalisme moral. C’est pourquoi on la présente souvent comme une troisième voie en métaéthique face à l’alternative réductrice entre un réalisme moral qui doit postuler l’existence de propriétés métaphysiques difficilement conciliables avec le monde naturel et un antiréalisme qui rend bien compte de ce que l’on appelle parfois l’exigence pratique de la morale ou sa force motivationnelle, mais au prix de son objectivité. Il semble toutefois plus difficile pour le « constructivisme formel », qui marque une certaine insatisfaction avec la conception traditionnelle ou kantienne du constructivisme, de rendre compte de façon satisfaisante de l’objectivité normative. Nous entendons par constructivisme formel une théorie selon laquelle un jugement normatif est vrai si et seulement s’il est cohérent avec l’ensemble, en équilibre réfléchi, des jugements normatifs de l’individu. La vérité d’un jugement normatif pour un individu donné est donc ainsi entièrement déterminée par son propre point de vue évaluatif, dont le contenu est contingent. Une telle définition de la vérité normative semble miner la prétention à l’objectivité du constructivisme, et rapprocher cette variante de la théorie davantage d’un subjectivisme éthique. Nous tenterons ainsi dans cette communication de réfléchir à quel type – et à quelle robustesse – d’objectivité peut prétendre le constructivisme formel, en partant de la double critique qui lui est adressée par Scanlon dans Being Realistic About Reasons (2014) selon laquelle une telle caractérisation de la vérité pratique est non seulement pas plausible, mais qu’elle rend surtout compte, bien malgré elle, de tout autre chose que le sujet des raisons pratiques. Ce sera aussi l’occasion de confronter deux interprétations distinctes de la méthode d’équilibre réfléchi, entendue d’une part comme procédure de découverte et d’autre part comme procédure de construction.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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